Car l'été, s'il est synonyme de farniente, de détente, de repos et autre cessation d'activité plus ou moins consommée, est aussi pour la librairie une période de creux. Peu de coups de tonnerre ou de nouveautés, bref c'est l'accalmie ou la disette pour les affamés. C'est donc la période idéale pour relire ses classiques ou inspecter les bricoles dont on s'était dit: c'est pour bientôt. Je me suis concentré sur certains de mes vieux compagnons de lecture, vieux, voire canoniques pour certains. Un petit pincement de nostalgie m'a étreint au spectacle de ces couvertures pelées aux illustrations parfois vulgaires, ces reliures fatiguées et ces copyrights antédilluviens. Mais ce fut un plaisir, car ce n'est pas seulement le livre que je redécouvrais, c'est aussi le lecteur que j'étais. J'ai parcouru de nouveau ces paysages imaginaire que j'avais associé aux livres.
J'ai appris il y a peu que Straub publiait un nouvel ouvrage. Il sortirait en France en mars. Le titre est pour le moment A dark matter, mais je cite en anglais dans le texte et utilise le conditionnel, car cela demeure provisoire. C'est une heureuse nouvelle pour moi. J'ai donc consacré ces derniers jours à la redécouverte de trois de ses romans: Mystery, La Gorge et Koko afin de célébrer l'évènement. C'est par ailleurs un rituel que j'effectue à intervalle régulier depuis leur parution, pour vous dire, tout cela ne date pas d'hier.
J'avais envie d'en faire profiter mes hypothétiques lecteurs, car je pense que cet auteur est assez injustement boudé lorsqu'il n'est pas tout simplement inconnu. Son univers est très personnel. C'est pour moi une marque de créativité et de sensibilité. ll échappe à toute classification avec son mélange de réalisme, de polar, de fantastique et\ou d'épouvante.
Il utilise dans ces ouvrages, comme dans l'ensemble de son oeuvre des éléments qui se font écho, une trame narrative, des personnages ou des situations. C'est peut-être une variation, quelque chose de musical, car la musique est ici importante avec souvent le rappel de musiciens et de morceaux.
On peut noter l'utilisation des lieux, car la ville qu'elle s'appelle Milburn, Millhaven ou Milwaukee est la même: la géographie comme les souvenirs qui s'y rattachent sont similaires.
L'écrivain Underhill que l'on croise régulièrement est à la fois personnage et narrateur. Vétéran du Vietnam, il sombrera dans la drogue, entretiendra quelques relations homosexuelles pour se consacrer ensuite à l'écriture. Il rencontrera d'ailleurs Straub dans un des ouvrages pour collaborer à l'écriture de ses aventures. Ils relateront des évenements à quatre mains que nous retrouveront ailleurs sous une autre forme.
Les meurtres et les meurtriers enfin, car ils sont les éternels moteurs de nos fantasmes les plus obscurs. L'assassin est dans deux des romans, un enfant placé. Sa mère d'origine hispanique est une prostituée retrouvée morte. Les parents adoptifs, des bouchers, sont des fanatiques, ils abuseront de l'enfant qui basculera dans la démence. Il est loin de la figure légendaire du serial killer à l'intelligence prodigieuse et aux desseins diaboliques. C'est la souffrance qui le caractérise avant tout, et l'empathie entre le tueur et celui qui le traque donne de l'humanité au cheminement. En effet Underhill a souffert des mêmes maux, et comprend d'autant mieux celui qu'il poursuit.
La figure emblématique du fantôme est essentielle dans les livres de Straub. Ces revenants, bons ou mauvais, qui à la lisière de nos perceptions, s'attachent à nos pas et apparaissent lorsque l'on approche un peu trop près de la lisière entre les differents plans de l'existence. Ils guident ou nuisent aux mortels, mais d'eux tous, il reste quelque chose ici-bas. Tous ces fils se recoupent à intervalle régulier et concourent à donner à l'ensemble une certaine cohésion et une certaine atmosphère.
Straub s'est d'ailleurs fait renversé par une voiture étant enfant et cet incident est relaté de differentes manières par differents personnages. Cela explique peut-être les cercles concentriques qui se croisent tout au long de son oeuvre ou son engouement pour le mystérieux. Une tentative pour comprendre ce qui imprègne son existence entière.
Son style est particulier. Il est dépourvu d'effet de manches ou de rebondissement spectaculaire, et tout en maintenant le lecteur dans un espace où l'irréalité est toujours à deux pas, il ne bascule jamais. Afin de maintenir une certaine tension, ou parce que rien n'est forcément évident? C'est parfois déroutant et peut laisser sur sa faim le lecteur impatient. Pour ma part, je relis régulièrement ses livres.
J'ai toujours l'impression d'être à deux doigts de comprendre. De comprendre quoi? Dixit Underhill: ce qui était en jeu ici, c'était la solidité du monde. Peut-être. Rien n'est moins sûr. Ce dont je reste persuadé c'est que Straub gagne à être découvert, ou redécouvert. Alors, Straub qui veut!